Sasha M. Davis

Je ne suis pas qu'une petite fille sage.
« Sasha Murphy Davis ! » Du haut de mes 8 ans, je me rappelle avoir entendu de la colère dans la voix de ma mère. Je savais que j'allais morfler. « Tu peux m'expliquer pourquoi l'école m'appelle ? » Elle connaissait déjà la réponse, donc, comme je le faisais souvent, j'attendais sans rien dire qu'elle se mette un peu plus en colère et qu'elle crache le morceau. « Tu as tiré les cheveux d'une camarade de classe ? Et tu l'as tapée ? Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? » Et voilà... je me rappelle devoir expliquer à ma mère comment cette fille s'en prenait à moi depuis quelques semaines, qu'elle me "demandait" de lui donner mon goûter et que j'en avais marre. « Je voulais juste qu'elle arrête, alors je lui ai tiré les cheveux quand elle a voulu prendre mon quatre heures, et je lui ai donné une gifle quand elle a voulu me pousser. » Si ma mère a légèrement changé d'avis sur mon geste (après tout, je n'avais fait que me défendre) elle m'a malgré tout fait la morale. Je ne devais pas taper les autres, la parole est la meilleure des défenses, bla bla bla. Cela dit, sa colère s'était évanouie et je me souviens avoir entendu une pointe de fierté dans sa voix. C'était Taylor, ma maman, celle à qui je dois tout.
Le soir-même, mon père est rentré de son travail. Ma maman lui a tout raconté lors du dîner et son visage, impassible, n'a rien laissé transparaître de ce qu'il pensait. Je mangeais mes brocolis en retenant presque mon souffle. Si les colères de ma mère étaient impressionnantes, celles de mon père étaient cent fois pire et me terrifiaient. « Tu as laissé cette fille t'embêter pendant des semaines ? » Il a planté son regard marron dans le mien et je me suis presque glacée sur ma chaise. « La prochaine fois, tu te défends dès le début, ça évitera qu'on te prenne pour une faiblarde. » Voilà... Murphy Davis, mon géniteur, celui à qui je dois mon nom. « Tu vas devoir t'endurcir si tu veux un jour être policier, comme moi. »

La pré-adolescence, une étape cruciale dans la vie d'une fille.
Je me rappelle... la veille de mes douze ans, je ressentais ce sentiment de joie pure. J'avais surpris une discussion entre ma mère et une amie pâtissière... elle lui commandait un gâteau en forme de M&M's. À l'époque, il m'en fallait très peu pour être heureuse. Lorsque j'étais rentrée à la maison, mes parents se disputaient, comme souvent. J'avais filé dans ma chambre et n'en était sortie que pour le dîner.
Le lendemain, mon anniversaire s'était déroulé sans aucun soucis. J'avais eu le fameux gâteau, mes amies étaient venues, j'avais eu droit à plein de cadeaux... Tout allait bien. De temps en temps, je faisais une bêtise ou deux à l'école ce qui mettait les nerfs de ma mère à rude épreuve mais elle finissait toujours par me pardonner les ennuis que je pouvais causer. Mon père par contre... chaque jour était une bonne excuse pour me donner une leçon de morale. Chaque leçon de morale ne faisait que me ramener un peu plus bas que terre.
Une semaine après cet anniversaire, je suis rentrée à la maison avec un œil au beurre noir : une fille de l'école m'avait donné un coup de poing. Comme ça. Juste parce que ma tête ne lui plaisait pas. « Sasha, ma puce, tu ne peux pas te battre comme ça avec les filles à l'école. Il faut que tu apprennes à régler tes problèmes autrement que par les poings. » Combien de fois avais-je entendu ce genre de discours ? Vivant dans un quartier "difficile", j'allais dans une école "difficile". « Mais maman... c'est elle qui m'a tapée. Je ne lui ai pas rendu son coup de poing, je te promets ! » Avec ma mère, une promesse était une promesse. Elle savait que si je lui disais cela, c'était que c'était la réalité. Comme souvent, sa colère s'est évanouie. Mais celle de mon père n'a fait que réveiller les voisins. Il a hurlé pendant une heure en apprenant cette nouvelle aventure. « J'élève une incapable. Tout ce que tu as à faire, c'est te défendre. Si j'avais eu un garçon, je n'aurais pas besoin de me répéter tous les jours. Le jour où tu seras policier, j'espère que tu feras mieux que ça ! » Son grand discours. La raison de la plupart de ses disputes avec ma mère. Il avait voulu un garçon. Il avait eu une fille. Un an après ma naissance, ma mère avait eu un cancer de l'utérus... on lui avait tout enlevé et donc, elle ne pouvait plus avoir d'enfants. Murphy allait devoir se contenter d'une fille...
Ce soir-là, une semaine après mes douze ans, mon père et ma mère se sont encore disputés. Encore une fois, il lui a donné une gifle, puis une seconde, une troisième... Il n'a pas tapé fort. Ni longtemps. Mais le cœur de maman n'a pas tenu. Elle s'en est allée à cause d'une crise cardiaque, et je me suis retrouvée seule avec mon père.

Une adolescence difficile ? Nooooon !
«Tu n'es qu'une incapable. » - « T'es même pas capable d'être jolie. » - « À quoi tu pensais ? Que tu allais être assez intelligente pour intégrer cette école ? Toi ? Laisse-moi rire. Et puis je te l'ai déjà dit, tu seras policier. » - « J'aurais dû faire avorter ta mère quand j'ai appris que tu étais une fille. » Comment se construire avec ce genre de discours au quotidien ? Je sais, il voulait me pousser. Il voulait que je fasse mieux, que je sois quelqu'un. Mais je dois dire qu'à l'adolescence, ces mots m'ont plus rabaissée que donné l'envie de sourire.
J'étais une fille complexée (je le suis toujours).
J'étais une fille solitaire (ce que j'essaye de changer).
J'étais une fille effacée qui n'hésitait pas à se battre si on me cherchait (ah, ça, c'est toujours le cas... la grande timide qui se transforme en tornade...)
Et ma façon d'être énervait mon père. Et plus il s'énervait, plus les réflexions et les commentaires fusaient.
J'avais souvent envie de pleurer sans me donner l'autorisation de le faire. Au lieu de ça, je fermais ma g*eule et je continuais de sourire, de donner l'illusion que tout allait bien. Et c'est passé comme une lettre à la poste.
Dès que j'ai eu dix-huit ans, je suis partie de chez moi. Je ne supportais plus de vivre avec ce père mi-absent, mi-autoritaire.
L'ironie du sort, c'est que je me suis inscrite à l'école de police.
Aujourd'hui, je suis inspectrice. Je ne m'occupe que des petits délits, mais je suis malgré tout fière de moi, fière de montrer que quelqu'un faisant partie de la loi n'est pas forcément comme Murphy, mon géniteur. Je ne le vois qu'une fois par mois, en quelques minutes, juste pour lui donner de mes nouvelles. Et je dois dire que je me sens bien mieux depuis que j'ai quitté la maison.