Amelia - Raven | My smile is a lie

Quelle vie pourrie, horrible, abjecte. Peut-être devrais-je mettre fin à mes jours tout de suite. Vous pensez que j’exagère ? Certains disent qu’on peut toujours trouver pire que soit, mais je n’aime pas me comparer aux autres. C’est ma vie et elle n’a rien de rose. Les rares instants de bonheur ne sont qu’une goutte dans l’océan de malheurs qui me poursuivent sans relâche.

Je suis née dans un quartier pauvre de Rochester. Qui dit pauvre, dit aussi malfamé. En tout cas, c’est ce que j’ai connu. Mes parents, si l’on peut les appeler parents, étaient deux drogués et alcooliques sans réellement d’emploi. Ils n’en cherchaient que pouvoir se payer leur dose. D’ailleurs je n’étais pas prévue et ce fut un miracle que je naisse avec aucune déformation. A vrai dire, je crois que ma mère n’était pas une droguée avant ma naissance, mais ça… Je ne le saurais jamais et je m’en fichais. Mes parents n’ont jamais exprimé de l’amour pour moi. Aller savoir pourquoi ils me gardaient. Tout ce que je sais, c’est que je servais généralement de punching-ball lors de leurs accès de colère ou de manque. Dès qu’ils étaient drogués, j’avais la paix et ça m’arrangeait. Je grandis plus souvent dans la rue que chez moi d’ailleurs, une vieille mexicaine prenant soin de moi, me faisant à manger, me logeant parfois. C’est ainsi que j’appris à parler espagnol également. C’est elle qui me fit découvrir la musique alors que je n’avais que cinq ans. Elle était un professeur de violon à la retraite et ce fut mon premier instrument. C’est elle qui m’offrit mon premier violon. L’objet qui comptait le plus pour moi. Elle était gentille. Très gentille. Ce fut cela qui la perdit.

Un soir, je devais avoir à peine neuf ans, des hommes débarquèrent chez elle. Elle leur devait apparemment de l’argent. Des sous qu’elle n’avait pas. Juste avant qu’il ne rentre, elle m’avait caché dans la penderie de l’entrée, me laissant assisté à toute la scène. Les coups de poings, les cris de la vieille dame, puis enfin le coup de feu qui tua cette pauvre femme qui veillait sur moi. Elle me fut arrachée brutalement et je dus me retenir de toutes mes forces pour ne pas pleurer alors que ces types fouillèrent la maison, puis partirent avec leur pauvre butin. Moi… Je m’étais enfuie lorsqu’ils avaient quitté l’entrée pour chercher. J’avais abandonné le corps froid de la vieille dame. J’avais le cœur brisé. Cette journée m’apprit à ne jamais m’attacher. Pas dans mon monde. Ce fut également le jour de ma première fugue qui dura plusieurs semaines. Pourquoi ne suis-je pas aller voir la police ? Vous rigolez. Dans mon monde, la police nous déteste et frappe les délinquants dans mon genre. Ils seraient capables de m’accuser du meurtre d’Abuela. Alors je préfère fuir. Je ne veux pas rentrer chez moi, parce que je sais que je ne trouverais que la violence. De toute façon, mes parents étaient trop défoncés pour remarquer lorsque j’étais là où non. Personne ne s’inquièterait. Sauf que la police finit par m’attraper et ils me ramènent chez moi. Dans ce taudis que je déteste. Je fus passée à tabac ce jour-là. Pour les ennuie que j’attirais. Ramener la police chez nous quand même…

Après ceci, ma vie fut loin d’être routinière. Je continuais de fuguer régulièrement, continuant de m’entrainer à jouer du violon. Je faisais les poches des gens pour vivre. Je me fuyais les flics ou les autres délinquants. Me faisaient parfois attraper par l’un ou par l’autre groupe. Je survivais malgré tout. Parfois je trouvais quelques personnes amicales. Certaines m’apprirent à jouer de la guitare et de l’accordéon. J’appris même à jouer du piano dans les gares. La musique était devenue toute ma vie. Le seul moyen pour moi de m’évader. De penser à autre chose. De penser à ma fuite. Dès que je le pourrais, je partirais. Je fuirais loin de mes parents. Loin de cette ville pourrie. De ces gens pourris qui n’en avaient strictement rien à faire. Les médecins qui soignaient mes os, lorsqu’on me forçait à aller à l’hôpital, ne se posaient pas de questions sur la provenance de ces blessures. De toute façon je leur mentais. Je ne faisais confiance à rien ni personne, je n’avais personne à qui me confier et je ne cherchais pas à le faire. Enfin… Pas tout à fait.

Ce fut l’année de mes treize ans que je le rencontrais. Pas tout à fait… Je discutais avec CaptainZero (James) via un forum sur internet. D’abord nous ne faisions que parler musique ou d’autres choses sans importance. Puis, petit à petit, les mots qu’on écrivait sur nos claviers furent bien plus profonds, nous confiant l’un à l’autre de nos vies si semblables dans son horreur. Nous n’avons jamais échangé de photo ou nos noms. Il me connait sous le nom de Raven. Je ne voulais pas le rencontrer, parce que je lui avais tout dévoilé de ma vie. La mort d’Abuela, les coups de mes parents, leur problème avec la drogue. En retour, il m’avait tout dit sur lui. Il était mon confident, la personne sur qui je pouvais compter dans mes pires moments, tout comme j’étais le sien. Enfin, j’espérais, car toujours au fond de moi, je craignais que je ne sois qu’une idiote qui se faisait avoir.

Puis vint l’année de mes dix-huit ans. Il n’y avait rien de nouveau. Je fuguais toujours aussi souvent. J’allais toujours à l’école, finissant par obtenir mon diplôme, même si j’eus du mal. L’absentéisme n’aide en rien après tout. J’évitais les problèmes comme je le pouvais, mais l’un d’entre eux… Je ne pus l’esquiver. Mes parents s’étaient endettés à cause de la drogue, auprès de puissantes personnes. Ils ne pouvaient pas rembourser, quand vient un accord… Inhumain. Qu’ils acceptèrent sans aucune hésitation. Leur dette était remboursée s’ils vendaient leur fille. Je ne pus rien faire contre les personnes qui me kidnappèrent. Trop fortes, trop violentes. Lorsque je me réveillais, j’étais enchainée à un lit bien propre. Une riche maison. Un homme vient me voir. Il était beau, charmant, souriant. Un sourire qui ne me trompa pas. Je savais ce qu’il comptait faire et j’étais sans défense contre lui, menottée. Il arracha mes vêtements, détacha les siens, et prit un malin plaisir à faire durer le plaisir. Le sien. Je retenais mes larmes, dégouttée par ce qu’il faisait, me débattant pour m’échapper, allant jusqu’à le mordre ou lui donner des coups. Une défense qu’il semblait apprécier. Comme un chat sauvage. Il me frappait en retour, plus fort, plus violent, tout en continuant. Puis il fit une chose que j’avais fui tout ce temps. Il me drogua. De la cocaïne, de l’héroïne. Il voulait me soumettre. M’avoir tout à lui. Que je cesse de tenter de m’enfuir. Me rendre accroc et shooté la moitié du temps était un bon moyen de faire ça. Il ne voulait pas que j’oublie ce que je vivais. Il aimait me rendre complètement en manque, que j’accepte n’importe quoi de sa part pour qu’il me donne ma dose. Je devenais son animal. Comme mes parents, j’étais prête à tout pour faire cesser la sensation du manque, ce qui comprenait réaliser le moindre de ses fantasmes, même le plus écœurant. J’étais devenue une véritable accroc, incapable de formuler une autre pensée que celle de la drogue.

Trois années s’écoulèrent, bien que j’ignore ce fait. C’était une éternité à mon sens. Je ne compris pas ce qui s’était réellement passé. Des hommes entrèrent dans la maison où je me trouvais depuis tout ce temps. Des policiers cherchant mon kidnappeur, mais j’étais seule. Je me débattis alors qu’ils m’emmenaient loin d’ici. Je fus transférée dans un hôpital pour soigner mes blessures, découvrant que je vivais non loin de New-York depuis tout ce temps. La première phase de ma désintoxication se déroula ici, puis ensuite dans un hôpital psychiatrique. J’étais trop instable, tentant de me suicider une ou deux fois sans grand succès. J’y restais pendant près de deux ans, reprenant contact petit à petit avec la réalité, allant jusqu’à un stade où je recontactais CaptainZero, mon confident. Il m’accepta à nouveau, mais je fus parfaitement incapable de lui parler de mon histoire. Tout comme je n’arrivais pas à me confier à mes psychiatres ou aux policiers. Ma défiance envers ces deux corps de métier ne m’aidait pas dans tout ceci. La musique fut pour moi une grande source de réconfort, me permettant de dépasser cette période. Après deux ans, je pus finalement sortir de l’hôpital, retournée à une vie normale. Je choisis d’emménager à New-York, dans le Bronx. J’enchainais les petits boulots stupides, comme mécanicienne, barmaid, serveuse… Ce genre de choses que je n’appréciais pas forcément, mais qui me permettait d’avancer dans ma vie. A côté, je me plongeais tout entière dans la musique, oubliant le reste autour de moi. Oubliant de me faire des amis. J’avais un rêve depuis toujours, devenir compositrice pour des films, des séries. Je savais que je ne pourrais jamais réaliser mon rêve, mais je n’avais que ça à quoi m’accrocher pour tenter d’oublier ce qui m’était arriver. Pour tenter de résister à l’attrait de la drogue. Je replongeais parfois et je me détestais pour ça. Je détestais ressembler à mes parents.

Voici la fin de mon passé. Alors, ne vous avais-je pas dit de l’horreur qu’était ma vie ? Je ne cherche plus les ennuis depuis quelques années, essayant de vivoter dans cette ville, me détestant pour tout ça. Je suis censée suivre un psy, mais je rate les trois-quarts de nos rendez-vous. Je me drogue. J’essaie de sourire lorsque je parle aux autres. Personne n’entend mes cris finalement et je ne veux pas que quiconque les entende. Je suis désespérée. Seule. Une véritable cause perdue.