Samuel Harper - Life sucks

Il paraît que les hommes naissent libres et égaux. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la déclaration des droits de l'homme et du citoyen française qui le dit. J'ai appris ça en histoire au collège. Foutaises, voilà ce que j'ai à dire. Quelle égalité y a-t-il entre moi, Samuel Harper, né il y a 26 ans dans le Bronx et le petit bourgeois de Manhattan né avec une cuillère en argent dans la bouche ? Ne cherchez pas, il n'y en a aucune.

Au début, on ne se rend pas vraiment compte de cette inégalité. Petit, vivre dans une barre d'immeuble ne me semblait pas anormal, c'était mon quotidien depuis toujours. Je n'ai jamais manqué d'amour de la part de mes parents et cela suffisait à me combler de bonheur. Ma mère était serveuse dans un café en bas de chez nous. Sans diplôme, elle n'arrivait pas à trouver meilleur emploi et devait se contenter d'un mi-temps. Mon père lui avait réussi à trouver un temps plein dans un magasin d'électronique et s'y accrochait de peur de ne pas réussir à trouver mieux. En effet, difficile de trouver un emploi avec un casier judiciaire. Pourtant, mon père était un homme bien, mais le Bronx est une vraie jungle et il est difficile de s'y perdre. On fait tous des erreurs. Mon père en a fait, il les a assumé, et pourtant il continue d'en subir aujourd'hui les conséquences. Cela ne l'empêchait pas de continuer à rêver et de prendre soin de moi, son petit garçon, sa plus grande fierté comme il aimait le dire. Il ne loupait pas un match des New York Knicks et souvent il me disait : « Mon garçon, un jour je t'emmènerais au Madison. » En effet, il n'avait jamais pu entrer dans la salle mythique de Manhattan, cette salle que l'on appelle la Mecque du Basket. Les billets étaient trop chers pour une famille qui galérait déjà à joindre les deux bouts.

En grandissant, j'ai commencé à me rendre compte de la réalité de notre monde, et il y a notamment eu ce déclic. À 8 ans, mon instituteur avait réussi à organiser un échange avec une école de Manhattan. Le but ? Montrer que nous sommes tous des enfants, que nous sommes pareilles. La première rencontre c'était déroulée dans cette fameuse école et une seconde était prévue chez nous, dans le Bronx. Le soir en rentrant avec ma mère, les questions avaient fusées. « Maman, Ethan le garçon de l'autre école, il a dit qu'il viendra pas la prochaine fois parce que son père veut pas qu'il vienne dans le Bronx. Pourquoi il a peur ? » « Pourquoi on a pas des beaux vêtements comme eux ? » « Ethan il m'a dit que son père il travaille à Wall Street, c'est comme le boulot de papa ? » Des questions innocentes de petit garçon, mais j'avais compris à l'absence de réponses de ma mère que quelque chose n'allait pas. Pire que tout, alors que j'étais censé dormir le soir, je l'avais aperçu en me relevant dans les bras de mon père, en pleurs. « ça va aller, l'amour est plus important que l'argent. Il est intelligent, je suis sur qu'il sortira, mieux que nous. »

Dans les mois qui avaient suivi, notre niveau de vie c'était très étrangement amélioré. Mon père n'était pas souvent à la maison, mais il ramenait à la maison des choses qui pour nous avaient toujours été inaccessibles. Pour mon neuvième anniversaire, alors que j'avais l'habitude de jouer avec un vieil appareil photo cassé quand j'étais petit qui trônait toujours sur une de mes étagères, mon père m'en avait ramené un vrai, fonctionnel. La version officielle, c'est qu'il faisait parti des invendus du magasin où il travaillait et qu'il avait pu l'avoir à bas prix. Deux mois plus tard alors que je rentrais de l'école, c'est un autre cadeau que mon père me faisait, et pas des moindres. Il me tendait un paquet que je m'empressais d'ouvrir. Je trouvais alors un maillot des Knicks ainsi qu'une enveloppe. Dans cette dernière se trouvait deux billets pour un match au Madison, aux noms de mon père et moi. Je me jetais dans ses bras, fou de joie. Mais le bonheur ne dur qu'un temps. Un jour ou l'autre, nos erreurs finissent toujours pas nous rattraper.

Le soir où nous devions nous rendre au match, je rentrais fou de joie chez mois, mon maillot sur le dos. Je ne voulais plus le quitter ces derniers temps, et encore moins quand je me rendais sur le playground du quartier. En bas de l'immeuble était garée une voiture de police mais je n'y prêtais pas attention. Pourtant, en arrivant chez moi, je retrouvais ma mère le visage complètement défait assise sur le canapé, avec un agent près d'elle. Deux autres étaient en train de fouiller notre appartement. Je ne comprenais rien, que se passait-il ? Ma mère incapable d'aligner deux mots entre ses sanglots n'avait pas réussi à me parler. C'est l'agent qui se trouvait près d'elle qui m'avait expliqué la situation sans vraiment prendre de gants. Mon père avait été retrouvé mort dans un entrepôt. D'après eux, il était très probablement impliqué dans un énorme trafic de drogue New Yorkais. La réalité, c'est que mon père ne supportait plus de ne pas pouvoir offrir ce qu'il voulait à son petit garçon par manque de moyen, alors il était retombé dans ses travers. Il avait recommencé à dealer mais quand on lui avait demandé de tuer un homme, il avait refusé. Se sentant condamné, il avait pris des billets pour réaliser son rêve de m'emmener dans la plus belle salle du monde, mais son assassin avait été plus rapide que lui.

Alors que nous avions vécu les plus beaux mois de notre vie, nous nous étions mis à creuser jour après jour. Ma mère avait perdu son emploi ne s'y rendant plus, complètement perturbée par la perte de mon père. Pendant deux ans nous nous étions enfoncés. Criblés de dettes, nous avions dû changer d'appartement pour un studio ridicule pour deux personnes. Maintenant adolescent, il me fallait faire un choix. Répéter les erreurs de mon père en fréquentant les mauvaises personnes, ou tenir le choc, travailler à l'école, et essayer de sortir ma famille du sombre chemin dans lequel nous nous étions engouffré. Si le maillot des Knicks était resté depuis 2 ans au fond d'un carton ne souhaitant plus le voir, l'appareil photo que m'avait offert mon père était quant à lui toujours dans mon sac. Quel meilleur décors que le Bronx pour de la photo urbaine ? J'arpentais les rues, je me rendais sur les playgrounds.

A 15 ans, j'avais pioché dans mes quelques économies pour m'acheter un téléphone portable. Je ne sais pas s'il existait pire téléphone au monde. J'avais pris le plus petit forfait possible, fabriqué moi-même des cartes de visite et commencé à lancer mon business. Dès que possible, je prenais le métro pour me rendre dans les quartiers huppés et touristiques de Manhattan. Je sortais alors mon appareil photo et prenais en photo les passants, de jeunes couples, des touristes. Quand la photo était satisfaisante, je courais pour rattraper les protagonistes et leur montrer pour leur demander si acheter la photo que j'avais prise d'eux les intéressant. Bien sûr, certains s'emportaient en me disant que je n'avais pas à les prendre en photo à leur insu. Mais souvent, les gens étaient plutôt très intéressés par ce que je leur proposais et certains acceptaient de m'acheter la dite photo. Je me débrouillais alors pour trouver un cyber café et la leur envoyer. De temps en temps, je tombais sur des profiteurs qui ne me payaient pas mais le paiement des gens honnêtes suffisait à me fournir une petite rentrée d'argent. Rapidement, j'avais pu investir dans un ordinateur portable et une connexion internet. Puis dans un appareil photo plus performant. Je pouvais aussi aider un peu ma mère à payer le loyer, elle qui avait réussi à trouver un boulot de ménage dans des bureaux à Manhattan. Doucement, nous remontions la pente.

Major de promo. Ma motivation était telle que j'avais obtenu les meilleurs résultats de mon lycée et mon diplôme. Après des mois sur liste d'attente, j'avais réussi à intégrer une formation de photographie au cœur de Manhattan. J'avais été surpris en arrivant le premier jour de voir que tous ceux qui avaient été choisis avant moi ne connaissait pas grand-chose à la photo et n'étaient pas très motivés. La différence, c'est qu'ils venaient de quartiers bien plus huppés que moi. L'égalité, vous vous souvenez ? La réalité c'est que sur le terrain, je mettais tout le monde d'accord. Major de promo à nouveau. Je commençais alors à postuler dans des rédactions, des agences de communication. J'arrivais à trouver quelques missions mais ces dernières étaient insuffisantes.

J'avais à présent 22 ans lorsqu'un soir de mai, je rentrais chez moi et ne trouvais pas ma mère. Il était pourtant déjà tard. J'essayais de l'appeler à de nombreuses reprises, tombant systématiquement sur son répondeur. Finalement, mon téléphone sonna un peu plus tard, mais ce n'était pas ma mère, c'était la police. Je me laissais tomber sur le canapé sans réussir à décrocher un mot. Ma mère avait été renversée en sortant du boulot et était décédée sur le coup. J'étais resté un moment seul sur le canapé, sans bouger. Puis subitement j'étais parti à l'hôpital voir ma mère. Quelques jours après, j'apprenais que le conducteur qui l'avait renversé était en liberté. Cela ne se passerait pas comme ça. Je contactais alors un avocat avec mes modestes moyens pour attaquer cet homme en justice. Sauf que cet homme s'avérait être un riche homme d'affaire. Lui s'était alors entouré des meilleurs avocats de la ville. Il ne fut pas longtemps pour que l'affaire se retourne contre moi, et que ma mère soit reconnue coupable. Pourtant, des vidéos de passants prouvaient que ma mère n'avait rien à se reprocher. Preuves irrecevables selon le tribunal. Je me retrouvais même à devoir payer des frais de dommages et intérêts. Les hommes naissent libres et égaux. Foutaises je vous dis ! Je me sentais complètement désemparé. Que faire pour s'en sortir quand même la justice d'un pays ne fait pas son travail correctement. En qui faire confiance ?

En rentrant du jugement, je déambulais dans les rues du Bronx. Je passais alors devant le playground de mon enfance et y regardais les enfants y jouer. Ils semblaient tous si innocents, pourtant combien allaient finir comme mon père, à dealer pour survivre ? Combien allaient y rester sans obtenir justice comme ma mère ? Combien finiraient derrière les barreaux, combien devraient laisser leur dignité derrière eux pour survivre ? J'étais en colère contre le monde. Je ressentais de la haine envers les institutions, envers les gens plus aisés. Puisque je ne pouvais plus faire confiance en la justice, je ferais alors justice moi-même. Je passais alors tout mon temps libre à étudier, que ce soit l'économie, la vidéo-surveillance. Je m'étais mis au street workout. Je n'étais certes pas très grand, mais rien ne m'empêchais de me muscler. Puis, j'avais commencé à jouer les robins des bois. Je m'étais mué en pickpocket et n'hésitait pas à voler dans le métro, dans la foule de Times Square, dans des magasins huppés. De l'autre côté, je m'ouvrais beaucoup plus aux gens de mon quartier dans le Bronx et me liais d'amitié avec eux. Ce que je volais n'étais pas pour moi, mais pour eux. S'il était hors de question pour moi de me mêler dans un réseau de drogue, j'avais néanmoins un petit groupe d'amis avec qui nous allions casser des vitrines de banques ou de bureaux. Cela n'avait pas un grand intérêt, si ce n'est d'ennuyer ceux qui j'estimais être mes ennemis. Plusieurs fois je m'étais retrouvé au poste. Cela ne pouvait pas toujours bien se passer. Heureusement, je passais entre les gouttes et évitait à chaque fois la prison. Néanmoins, je savais que cela ne durerait pas. Mais aujourd'hui, quel avenir avais-je devant moi ? Les clients se faisaient toujours aussi rare dans mon métier, je n'avais plus de famille. En bref, je ne suis qu'un gars de 26 ans, complètement perdu dans l'immensité de la vie.